
LODENN AN AELEZ : LA PART DES ANGES
Dans le cadre de la projection du très célèbre film de Ken Loach qui a eu lieu à la distillerie le 23 mars dernier, nous allons aborder le sujet de la part des anges et essayer de comprendre un peu mieux ce que désigne cette expression. Ce nom poétique représente en vérité un phénomène physique qui a lieu chaque nuit – et chaque jour – dans nos chais de vieillissement : l’évaporation du whisky dans les fûts lors des années de maturation.
Le vieillissement est la partie la plus longue du processus de fabrication d’un whisky. Nos whiskies doivent rester un minimum de 3 ans en fût de chêne pour obtenir l’appellation whisky breton, mais ils peuvent vieillir beaucoup plus longtemps. Nous utilisons le bois de chêne car il s’agit d’un bois très poreux, qui permet un échange gazeux constant entre le whisky et l’air dans le chai. Suite à cet échange, le niveau à l’intérieur du fût descend régulièrement pour faire place à l’air. Cette quantité de whisky « disparu » s’appelle la part des anges, car la légende dit que ce sont les anges qui l’ont bue. Cependant, une explication rationnelle est souvent moins poétique qu’une légende : il s’agit en vérité de l’évaporation du précieux liquide, et non de la soif des anges qui veillent sur nos chais.
Le climat d’une région a beaucoup d’influence sur le vieillissement du whisky. Le climat Breton, tempéré et océanique, offre des écarts thermiques relativement limités entre les saisons et une humidité toujours élevée : des conditions idéales pour une maturation lente, qui donnera des whiskies élégants. La quantité de la part des anges varie selon les conditions climatiques sous lesquelles nous faisons vieillir les fûts, notamment la température. L’évaporation atteint ainsi 1-2% par an en Ecosse, pays au climat frais, mais cela peut grimper jusqu’à 10-12% par an dans les pays au climat très chaud, comme l’Inde ou Taiwan ! Ici dans nos chais de Lannion, nous avons une évaporation moyenne du 3% par an : cela veut dire que chaque fût, chaque année, perd 3% de son contenu…
Pour les passionné.es de mathématiques, voilà un petit exercice : la Distillerie Warenghem possède 5.000 fûts de whisky dans ses chais, avec une contenance moyenne de 250 litres. Avec une part des anges de 3%, combien de bouteilles s’envolent chaque année ?
Je vous donne la solution : les anges boivent autour de 53.000 bouteilles par an. On ne peut pas nier qu’ils aiment bien le whisky breton là-haut !
Nous avons dit que la quantité de whisky évaporé dépend principalement de la température de l’environnement. Mais qu’est ce qui s’évapore exactement ? Si la quantité de la part des anges est liée à la température, sa nature dépendra plutôt de l’humidité. Le whisky est composé d’eau et d’alcool : si l’environnement est humide, c’est l’alcool qui s’échappe du fût (à travers les pores du bois de chêne) et le taux d’alcool baissera au fil des années ; avec un climat sec, c’est plutôt l’eau qui s’évapore, laissant un liquide plus concentré en alcool.
Nous n’allons pas pleurer sur le whisky évaporé, car cette perte est inévitable lors d’une fabrication artisanale et de qualité. Mais il y a une – maigre – consolation : ces vapeurs ne sont pas perdues, il y a bien quelqu’un qui en profite ! La prochaine fois que vous visitez une distillerie de whisky, ou que vous allez dans une maison de Cognac, vous pourrez remarquer que le plafond et les murs des chais sont souvent couverts d’une couche noirâtre. Il s’agit d’une colonie de Baudoinia compniacensis, un champignon microscopique qui se nourrit des vapeurs d’alcool. Ce champignon, appelé aussi Torula compniacensis, pousse un peu partout à condition de trouver des conditions atmosphériques lui convenant, c’est-à-dire des atmosphères riches en vapeur d’alcool. Il vient peupler ainsi les voûtes des caves prévues à l’entrepôt des fûts de whisky.
La part des anges est une partie intégrante du processus de maturation d’un bon whisky : et si nous en perdons une partie, il faut bien tenir présent que c’est grâce à cette interaction continue avec l’air et le chêne que le whisky acquiert sa couleur, que sa texture évolue, que ses arômes se complexifient.